Borratxa et borratxots.
Robert Marty Novembre 2004
                                                   

   Dans ma recherche des spécificités du    phénomène  "usap" je ne pouvais soupçonner en    1998 qu'une gourde en cuir, appelée "borratxa" en    catalan,  viendrait un jour prendre une place de    choix  avec une  puissance de signification aussi    forte.  Certes il  pouvait en exister par-ci par là    mais  par la  grâce de  l'ami Bourdigou la borratxa   est  entrée de  plain pied  dans la galerie des   curiosités  qui font de  notre  aventure avec l'Usap   une  expérience  para-sportive à  nulle autre pareille. Certes, la contribution du thème de la borratxa à l'analyse globale risque d'être assez faible mais il ne faut jurer de rien, un symbole pouvant en cacher un autre...

Les faits : tout a commencé avec les réunions plus ou moins spontanées, plus ou moins provoquées d'habitués du forum avant les matchs ou aux entraînements. A un moment que je ne saurai préciser, Bourdigou, posteur émérite s'il en est, est venu a l'une de ces rencontre muni de sa gourde remplie d'un liquide qui fut vite identifié dès qu'il la fit circuler : C'était un excellent muscat de Rivesaltes...Dès lors, avant chaque match, à chaque entraînement où il est présent, la gourde est là, pleine, rebondie et circule de mains en mains. Ici, une difficulté : boire à la borratxa nécessite une certaine pratique, sinon habileté, et c'est un jeu de contraindre amicalement les novices à s'y esssayer et à tâcher irrémédiablement qui sa cravate (le must), qui sa chemise, qui son maillot sang et or. La galanterie naturelle des supporters de l'Usap fait que l'insistance est moins forte auprés des dames, ce qui donnerait à penser que le rapport avec la borratxa "es cosa de hombre" comme on dit en Castille profonde.

Que la borratxa ait des origines paysannes, nul ne s'en étonnera. La gourde est une cucurbitacée qui séchée et vidée servit trés tôt de contenant aux liquides divers, généralement alcoolisés, chargés d'assouvir la soif des travailleurs des vignes et des champs. Par extension, ceux qui abusent de la gourde sont appelés les borratxots, en bon français des ivrognes. Mais sur ce point il convient de faire une distinction importante car, on l'a compris, la signification des pratiques liées à la gourde déborde singulièrement la simple absorption d'alcool aussi doux et naturel soit-il. En effet, la gourde délivre un mince jet - ce qu'il faut peut-être rapprocher de la réputation d'avarice voire de ladrerie que les castillans font aux catalans- et absorber ne serait-ce que l'équivalent d'un verre de liquide relève de la performance spirographique. Certes, le muscat qui arrive directement sur les amygdales du buveur accroit l'effet capiteux du breuvage mais honnêtement si l'usage de la borratxa était généralisé on peut être assuré qu'il serait inutile de mentionner sur les gourdes les habituels conseils de modération.

C'est donc à l'évidence une dimension presque exclusive de convivialité qui domine dans le rapport à la borratxe. Convivialité de bon aloi produite par la consommation modérée d'alcool de qualité mais surtout rituel initiatique du passage de la gourde de main en main, chacun rentrant tour à tour dans le cercle pour émarger au produit du terroir  relié à la gourde, un véritable objet transitionnel, c'est-à-dire un référent collectif constitutif du groupe, un réseau de relations s'incarnant réellement et successivement dans cette parabole - un arc de courbe mathématique qui va de l'orifice de la gourde aux lèvres du buveur- mais aussi, par ailleurs, une figure de rhétorique visuelle matérialisant l'unité d'un groupe par la parabole du lien social. Certes le groupe concerné n'est pas trés nombreux, c'est disons le noyau dur local du forum qui cherche peut-être à compenser par le truchement de la borratxa la froideur des échanges épistolaires sur le forum. En publiant les photos de ses rencontres arrosées de muscat  il y porte un peu de la chaleur humaine qui lui fait défaut par nature.

Cela m'autorise peut-être à  aller un peu plus loin en revalorisant la valeur-signe de la borratxa jusqu'à imaginer que  Bourdigou, le grand dispensateur du divin breuvage, pourrait être une réincarnation de la figure mythique de Dyonisos alias Bacchus...Sait-on jamais ?